samedi 26 janvier 2013

Les chansons de toile au Moyen Âge

J'ai découvert les chansons de toile médiévales au moment de la naissance de ce blog, par deux fois : la première dans le cadre de mon travail, la seconde alors que j'essayais de trouver un titre pour mon blog. À ces deux occasions, un texte est revenu : Belle Eglantine (Bele Aiglentine en langue médiévale). C'est une chanson anonyme du XIIIème siècle qui appartient au courant lyrique de la littérature médiévale et qui rejoint donc ce que l'on a appelé les "chansons de toile". Cette dénomination vient du sujet : ces chansons évoquent des dames qui tout en cousant (ou en lisant parfois, comme dans La belle Doette) chantent leurs amours. Les textes ont une forte unité narrative puisque l'histoire qui y est racontée a une vraie progression.
Ce qui m'a séduite, c'est le lien opéré entre couture (ou lecture) et rêverie, car c'est ainsi que je perçois ces deux passetemps solitaires : un moment hors du temps, hors du monde, où l'on est à la fois absorbé par l'activité en question, mais où l'esprit vagabonde ailleurs ; un refuge propice à l'éveil de l'imagination. Et ma pratique de la photographie rejoint très souvent cette conception. 

Tableau sans doute préraphaélite dont je ne suis cependant pas arrivée à identifier le peintre...


Voici donc le texte de Belle Eglantine, dans la traduction de Jean Dufournet (je vous épargne la version médiévale !). Il s'agit cependant d'une chanson que l'on dit corrompue, c'est-à-dire que certains vers sont manquants, ce qui ne rend pas la cohérence de la forme fixe utilisée.


Belle Églantine

Dans une chambre somptueuse, Belle Églantine
près de sa dame cousait une chemise.
À son insu Amour l'a surprise.
Écoutez bien
ce que fit la belle Églantine.

Près de sa dame, elle coud et taille,
mais moins habile qu'à l'accoutumée,
distraite, elle se pique le doigt.
(Tout aussitôt sa mère l'aperçoit.)
Écoutez bien
ce que fit la belle Églantine.


« Belle Églantine, ôtez votre surcot,
je veux dessous voir votre joli corps.
— Non, Madame, le froid apporte la mort. »
Écoutez bien
ce que fit la belle Églantine.


« Belle Églantine, quel mal donc vous mine,
qui vous fait pâlir et épaissir ?
— Ma chère dame, je ne puis plus le nier. »
Écoutez bien
ce que fit la belle Églantine.


« Oui, j'ai aimé un séduisant guerrier,
le preux Henri qui est tant estimé.
Si vous m'aimez, de moi ayez pitié. »
Écoutez bien
ce que fit la belle Églantine.


« Belle Églantine, vous épousera-t-il ?
— Je ne le sais, jamais ne l'ai requis.
— Belle Églantine, allez-vous-en d'ici. »
Écoutez bien
ce que fit la belle Églantine.


« De ma part demandez à Henri
s'il veut vous prendre ou vous laisser ainsi.
— Bien volontiers, Madame. », a-t-elle dit.
Écoutez bien
ce que fit la belle Églantine.


Belle Églantine a quitté son logis,
tout droit est venue à l'hôtel d'Henri.
Le comte Henri était couché au lit.
Écoutez bien ce que la belle a dit.
Écoutez bien
ce que fit la belle Églantine.


« Seigneur Henri, dormez-vous ? Veillez-vous ?
Églantine au visage clair vous demande
si vous voulez la prendre pour épouse.
— Oui, répond-il. Quelle joie d'être à vous ! »
Écoutez bien
ce que fit la belle Églantine.


En l'entendant, Henri fut très joyeux.
Il fit monter jusqu'à vingt chevaliers,
en son pays il emmena la belle
dont il fit sa femme et puissante comtesse.
Qu'il est heureux
le comte Henri d'avoir belle Églantine !

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